• Famille ETTINGER

    La première fois que j’ai vu le nom Ettinger c’était le 5 janvier 2017, aux archives départementales à Rouen, afin de consulter les procès-verbaux d’arrestation de la rafle du 6 mai 1942 qui a eu lieu dans la ville de Rouen.

    Ce jour-là arrivée dans la salle de consultation des documents, un vide s’est installé, je me suis assise à une table… mon professeur m’a donné les PV ainsi que le contrôle des Israelites.

    J’ai recensé plusieurs PV d’arrestations concernant plusieurs personnes dont la vie avait basculé ce jour-là. Après quelques heures passées aux archives, un nom revenait à plusieurs reprises, le nom d’Ettinger

    Au fur et à mesure que je relisais les documents donnés je me suis aperçue que ceux-ci ne concernaient pas une seule personne, mais toute une famille.

    Aujourd’hui le lundi 3 avril 2017, je sais que Nathan est le père ; il est âgé de 52 ans lors de son arrestation et est né en Russie. Après plusieurs années passées en France, il obtient la nationalité française qui lui sera ensuite enlevée –je ne sais plus exactement quand, mais je chercherai-.

    Sa femme Hentza est âgée de 52 ans, elle aussi est née en Russie et plus tard elle obtiendra la nationalité française. Tous les deux ont eu 7 enfants.

    En 1942, Henri est âgé de 29 ans, Lisa 29 ans, Jacques 27 ans, Ida 22 ans, Albert 21 ans, Odette 18 ans et Maurice 16 ans.

    Dans le livre de l’historienne Françoise Bottois, j’ai retrouvé, il y a quelques semaines, cette famille et j’ai pu mettre un visage sur tous ces noms.

    Sur les photos on voit une famille unie qui semble être heureuse, le père n’apparaît pas sur les photos…

    Je pense que c’est peut-être Monsieur Ettinger qui prend la photo.

    Je pense que c’était une famille sans histoire qui ne se faisait pas remarquer, des personnes innocentes avec un travail, une famille vivant comme tout le monde. Je trouve ça très injuste qu’on les ait déportés seulement à cause de leur religion.

    Sur une des deux photos, la mère et ses enfants sont debout devant leur immeuble ; ils se tiennent tous par la taille et les plus jeunes sont assis par terre.

    Le 18 janvier 2017 je suis allée à Auschwitz avec ma classe (ainsi que toutes les autres classes qui travaillent sur le projet « voyage d’étude à Auschwitz »).C’était pour moi une occasion de voir dans quelles conditions les personnes qui étaient emmenées à AUSCHWITZ vivaient, on allait pouvoir m’expliquer ce qui se passait dans le camp. Leur arrivée, le destin des enfants…

    Avant, le 8 décembre 2016, j’ai pu profiter de la présence de personnes extraordinaires au mémorial de Caen d’une dame qui m’a émue, Ginette Kolinka qui a raconté comment elle a vécu ces années qui l’ont marquée à jamais et je me demande aujourd’hui si toute la famille Ettinger a vécu des choses similaires.

    A AUSCHWITZ une personne a fait voir l’intérieur de ce camp, j’ai fait la marche que les déportés faisaient en arrivant. Ce fut pour moi dur émotionnellement comme physiquement, le plus dur pour moi a été quand j’ai su que les mères étaient séparées de leurs enfants, sans doute sans savoir qu’elles ne les reverraient jamais.

    En pensant à cette famille, je me demande si elle a été séparée dès le début ou a-t-elle pu vivre ces jours ensemble, monsieur Valdek (notre guide à Auschwitz) a expliqué que les personnes travaillaient jusqu’à épuisement.

    Le 20 mars je me suis rendue dans la ville de Rouen que je connais depuis toute petite. Pendant cette journée j’ai pu aller dans la synagogue rue des Bons enfants à Rouen.

    En rentrant dans la synagogue, j’ai vu une plaque commémorative avec tous les noms des déportés juifs. Parmi eux se trouvaient les noms de Monsieur et Madame Ettinger et de leurs 7 enfants ancrés dans la pierre. C’est à cet instant précis que j’ai ressenti le plus de peine pour cette famille et je ne peux pas me mettre à leur place mais je peux seulement imaginer comment cela a pu se passer, comment ils ont pu vivre ces moments de peur et de souffrance.

    Je sais que la famille habitait 8 et 10 rue Eau de Robec. Aujourd’hui c’est une petite rue étroite. Arrivée devant les numéros, j’ai vu une grande porte verte en bois et l’immeuble est recouvert de motifs à traits verticaux et de croix de la même couleur que la porte ; l’immeuble possède une quinzaine de fenêtres.

    Je me suis demandé, à cet instant et devant cette porte, comment cette famille a pu vivre après l’ordonnance du statut juif du 27 septembre 1940, face aux regards des gens qui les montraient et les jugeaient peut-être par rapport au port de l’étoile de David.

    Quel était leur mode de vie après le port obligatoire de l’étoile, je me demande si elle était en évidence, si les plus petits enfants allaient encore à l’école ou si alors ils restaient confinés chez eux.

    En passant pour la première fois dans cette rue et en voyant la porte de l’immeuble dans lequel ils habitaient, je me posais d’autres questions : ce fameux soir de l’arrestation comment Nathan, Albert et Henri se sont préparés à partir, quelles affaires ont-ils pris ?

    Savaient-ils ce qu’il allait leur arriver, savoir où on va, sans savoir si un jour on va revenir, pour combien de temps on y reste, mais savaient-ils où ils allaient savaient-ils ce qui allait se passer, qu’ont-ils pris pour partir, ont-ils pris assez de provisions,de vêtements.

    Comment les autres membres de la famille ont réagi en voyant les trois hommes partir, le reste de la famille savait-elle qu’elle allait partir elle aussi ? Plus tard. S’y sont-ils préparés ?

    A notre époque les choses sont toujours les mêmes, on juge toujours les personnes qui ont une religion, un physique différent du nôtre …les choses n’ont pas évolué, je pense que les choses ne changeront pas, malgré ce qui a pu se passer.

    En début d’année je ne savais rien de tous les membres de cette famille, je ne savais pas non plus tout ce qui s’était passé sur Rouen je pense que l’on nous cache toutes ces choses pour ne pas se rappeler de l’horreur de cette rafle ; toutes ces personnes qui ont été expulsées qu’on a humiliées.

    Savaient-elles vraiment où on les emmenait ? Ces mères à qui on enlevait leurs enfants savaient-elles qu’elles ne les reverraient sans doute jamais ?

    Ce sont toutes ces choses qui me donnent envie de continuer à suivre l’histoire de cette famille, j’ai eu envie de savoir ce qui était vraiment arrivé à ses parents et leurs 7 enfants.

    Je sais aujourd’hui grâce aux documents que j’ai pu lire et aux enquêtes menées sur le terrain ce qui est arrivé aux membres de cette grande famille.

    Nathan le père âgé de 55 ans a été déporté à Auschwitz le 22 juin 1942 par le convoi n°3, la mère Hentza avait 52 ans et elle a été déportée le 10 février 1943 par le convoi n°48, Albert et Henri ont été déportés le même jour que leur père, Ida, Lisa, Odette et Maurice ont été déportés en même temps que leur mère, seul Jacques lui a été déporté le 23 septembre 1942 par le convoi n°36.

    En 1945 tous les Ettinger n’étaient plus là : ils ont été assassinés pendant leur internement ou même à leur arrivée.

    Le jour de l’arrestation du 6 mai 1942 il faisait beau, je connais la météo grâce aux recherches que j’ai pu faire sur internet, j’imagine que ce jour-là les enfants ont pu sortir dehors pour se promener et profiter de cette belle journée.

    Je ne sais pas et je ne pense pas qu’un jour je trouverai la réponse à cette question - les parents se doutaient-ils que ce soir-là leur vie allait changer ?

    Grâce au PV j’ai su que tout le monde n’avait pas été arrêté le même soir. Je sais aussi que les arrestations se passaient le soir après le couvre-feu pour ne pas que les habitants voient l’expulsion, la panique, les pleurs des juifs.

    « Il faut longtemps pour que resurgisse à la lumière ce qui a été effacé, des traces subsistent dans les registres. » Modiano

    En relisant tous les documents je sais que Nathan 55 ans est marchand des saisons, Henri 29 ans est employé de bureau, Jacques 27 ans est Manœuvre, Albert 24 ans est lui aussi employé de bureau, Lisa 29 ans est vendeuse et sa sœur Odette 18 ans est peut-être encore écolière.

    J’ignorerais toujours à quoi ils passaient leurs journées, en compagnie de qui, s’ils étaient bien ensemble…

    C’est là le secret de cette famille, un terrible secret… les ordonnances, les autorités, les dépôts, les camps, l’Histoire, le temps, tout ce qui les a détruits.

    Le mardi 25 avril je suis allée sur un site internet qui parle de la famille ETTINGER, je me suis aperçue qu'il était tenu par Monsieur Philippe ETTINGER un descendant du frère de Nathan. Sur ce site se trouvait une adresse mail... J'ai eu donc envie de le contacter. Sur l'email envoyé, je lui ai demandé si je pouvais publier les photos de la famille sur laquelle je travaille et je lui ai également transmis l'adresse du blog que je tiens avec ma classe.

    Le Mercredi 26 il m'a répondu :


     

     

     

     

    Les enfants Ettinger et leur mère

    Source : Livre de Françoise BOTTOIS « De Rouen à Auschwitz »

     


     

    Monsieur et madame Ettinger

    Source : http://ettinger.fr/leurhistoire.htm 

     

                       Océane B. et Océane T.